Keith Arnatt, « Trouser-Word Piece », 1972, via www.quodlibetica.com
David Michael « Touser word piece » (after Keith Arnatt), 2001, via www.davidmichaelclarke.net
« Quand nous voyons une œuvre dite d'« art contemporain », nous voyons en fait l'art contemporain dans son ensemble. Il se met en vue lui-même dans son processus de production. il s'expose comme totalité, et totalité bouclée. Arrimé à ses mécanismes de transmission. Ceux-ci ne sont pas cachés : ils s'exhibent, par exemple dans les publications de listes et d'évaluations, supposées aider les producteurs à faire les bon choix, ou à renseigner le public sur les "meilleurs" artistes. Il en est ainsi du Kunst Kompass* qui établit une échelle de notoriété des artistes d'après le degré de reconnaissance qu'ils ont obtenu dans l'année (nombre d'expositions, privées ou collectives ; achats par les musées, par les collectionneurs ; en somme, degré de visibilité de ce qui est déjà rendu visible). Cette liste ainsi confirmée prédétermine les choix futurs… qui ne sont autres que ceux déjà opérés par les producteurs, puisque ce sont eux qui ont mis en vue les artistes que la liste hiérarchise. » Cauquelin, Anne, L'art contemporain, PUF, Paris, 1992, p. 54-55. * Pour une analyse détaillé du Kunst Kompass, voir Annie Verger, « L'art d'estimer l'art. comment classer l'incomparable ? », in Actes de la recherche en sciences sociales, n°s 67-68, mars 1987, p. 105-121. (le mot-clé de fiche : liste hiérarchise)
« Daniel Buren, artiste français mondialement connu et lauréat en 2007 du prix Praemium Imperiale à Tokyo — considéré comme le prix Nobel des arts plastiques — dit clairement dans une interview au Monde en 2008 : "Il n'y a plus d'artistes officiels, les artistes ne représentent plus qu'eux-mêmes." Le paradoxe de Buren est qu'après avoir créé un groupe d'artistes révolutionnaires dans les années 60, il est aujourd'hui considéré par certains comme un artiste officiel, ce qui le fait bondir. "Qui dit artiste officiel dit artiste représentant le pouvoir, quel qu'il soit. Les artistes d'aujourd'hui ne représentent qu'eux-mêmes !" Buren passe du stade d'artiste inclassable à celui d'artiste officiel… » Bourgineau, François, Art et argent les liaisons dangereuses, Édition Hugo & Compagnie, 2009, p. 189. (le mot-clé de fiche : artiste officiel)
« L'idéologie qui considère l'artiste qui se considère lui-même comme un héros, un roi, un créateur, un favori, l'artiste qui se considère lui-même comme le père de ses œuvres et donc comme père de lui-même contribuent à maintenir l'idée d'une "création" esthétique, analogue à une création divine. L'artiste ne tue Dieu que pour se mettre à sa place. L'art est une régression du stade de la fixation de la libido aux parents, stade religieux, au stade de la fixation à soi, stade narcissique, ou alors il peut précéder ce stade et y mener. La religion et l'art ne sont pas incompatibles. Ils correspondent à la même idéologie. » Kofman, Sarah, L'Enfance de l'art, Paris, Petite bibliothèque payot, 1970, pp. 197-198.
« Eh bien, nous vivons tous encore dans une culture qui dit : il y a ceux qui sont artistes et ceux qui ne le sont pas. C'est vraiment inhumain. C'est de la que vient le concept d'aliénation entre les hommes. Non, chaque homme accomplit en permanence des processus matériels. Il crée sans arrêt des rapports. Qu'il donne, qu'il évite un autre homme ou qu'il se déplace dans la fou, il y a toujours, disons des processus de forme. » Beuys, Joseph & Harlan, Volker, Qu'est-ce que l'art ?, Paris, L'Arche, 1992, p. 43, Was ist Kunst, Stuttgart, 1986. (le mot-clé de fiche : processus de forme)
« En 1719, l'abbé Du Bos se plaint de manquer de terme pour désigner "les peintres et les poètes" : "c'est uniquement la crante de répéter souvent la même chose que je ne joins pas toujours au nom d'artisan le mot d'illustre, ou quelque autre épithète convenable." Jusqu'alors en effet, le mot "artiste" n'était pas disponible, n'étant guère utilisé que comme adjectif, signifiant habile. Le substantif, peu utilisé, désignait soit les étudiants de la Faculté des arts (libéraux), soit les chimistes, les horlogers ou tout artisan "qui travaille avec art et esprit", selon le dictionnaire de Furetière.
Peu à peu, dans le courant du XVIIIe siècle, et surtout à partir de la Seconde moitié, le terme se dégage de ces usages anciens pour prendre - avec beaucoup de flottements - l'acception moderne de praticien des beaux-arts. C'est ainsi qu'en 1776 on le trouve pour la première fois dans le titre d'un dictionnaire biographique : le Dictionnaire des artistes de l'abbé de Fontenay. Quant à l'adjectif "artistique", il n'apparaît semble-t-il qu'au début du XIXe siècle - époque à laquelle le substantif "artiste" commence à être étendu aux interprètes de spectacles vivants, musiciens ou comédiens. » Heinich, Nathalie, Être artiste, Paris, Klincksieck, 1996, p. 29. (le mot-clé de fiche : artiste)
« Le grec n'a pas de mot pour créateur, non plus que pour talent, génie, chef-d'œuvre, goût ou style. Praxeis technès (Lois, X, 892b), que nous traduisons paresseusement par "œuvres d'art". Notre "artiste" est un démiourgos ou un banausos, qui veut dire artisan, travailleur. À ce titre, le fabricant d'images subit le mépris qui pèse sur tous les manuels. Même Aristote tend à exclure les artisans du droit de citoyenneté. Il s'affronte à la matière avec son corps, alorus que l'homme n'est libre que par l'esprit, la parole. Ce travailleur exerce donc un métier par nature servile, indigne d'un homme libre. Plasticien, c'est esclave. Un citoyen peut apprécier l'ouvrage, à la riguer, jamais envier l'ouvrier. » Debray, Régis, Vie et mort de l'image, Gallimard, 1992, pp. 184-185. (le mot-clé de fiche : artisan)
« Aujourd'hui, les artistes s'approprient aussi l'approche archivistique des commissaires d'exposition ou des autres de catalogues. L'historienne d'art Frances Colpitt soutient que "l'art conceptuel récent prend la forme de projets plutôt que documents. Le nouveau travail systématise les structures, les codes et les institutions. Quel que soit le système qu'il peut analyser, l'artiste opère avec lui une permutation complète, de manière à ce que celui qui le perçoit soit attiré dans son orbite, et contraint de penser à travers lui pour arriver au concept." On est là dans une description parfaite du travail de Patterson ou de Kabakov. Colpitt poursuit sa réflexion en faisant remarquer que le modèle d'une telle approche n'est pas Kosuth - dont le travail "aujourd'hui paraît plus proche du formalisme même qu'il entendait transformer" - mais Huebler. L'art ne consiste pas dans les idées en elles-mêmes, mais dans le fait d'être au monde. Si le modèle de l'artiste conceptuel des années 1960 était le philosophe, celui des années 1990 a été le chercher. » Godfrey, Tony, L'art conceptuel, Trad. de l'anglais par Nordine Haddad, Paris, Phaidon, 2003, p. 415-416. (le mot-clé de fiche : chercher)
« Plus contraignant est le critère retenu par cet autre organisme d'État qu'est la sécurité sociale : et c'est bien normale, puisqu'il s'agit alors non plus de conférer une place aux artistes dans les statistiques, mais de leur allouer des ressources. Là, le critère se resserre autour de la notion professionnalisme : selon la loi de 1964 sur la protection des artistes (peintres, sculpteurs et graveurs), le critère était essentiellement fiscal, puisque étaient considérés comme artistes ceux qui tiraient plus de cinquante pour cent de leurs revenus de la vente de leurs œuvres ou des droits accessoires, de suite ou de reproduction. Sous ce régime, il existait environ trois mille affiliés en France. La loi sera assouplie en 1975 : la protection sociale sera étendue aux illustrateurs et graphistes, et le critère du revenu inclura les formes de rémunération salariales et non plus seulement libérales, prenant ainsi en compte le phénomène du double marché de l'art, où la demande ne porte pas que sur des œuvres mais aussi sur des services (notamment la formation). L'artiste alors devra avoir tiré de son activité, au cours des trois années précédentes, des revenus au moins égaux à mille deux cents fois la valeur horaire du SMIG. En outre, dans les cas ou cette condition n'est pas remplie, une commission tripartite, composée d'artistes, d'administrateurs et de diffuseurs, statue sur l'affiliation au vu du dossier du sécurité sociale, qui est également appliquée dans le cas des écrivains). Cet assouplissement contribua notablement à l'augmentation de la population artistique, puisque le nombre d'artistes bénéficiant des prestations sociales, via la "Maison des artistes", passa alors à environ sept mille. » Heinich, Nathalie, Être artiste, Paris, Klincksieck, 1996, p. 76. (le mot-clé de fiche : protection des artistes)
Certains préfèrent être artiste, certains artisan...
« Je considère la transcendance comme un don. Le don de l'inspiration qui permet aux artistes de faire davantage que ce qu'ils pensent pouvoir faire. Par exemple, l'artiste possède la capacité de communiquer directement avec son inconscient. C'est un mystère — un mystère bénéfique, très rare, évanescent. C'est un don du ciel… très proche de l'amour. » Louise Bourgeois,
« L’artiste doit tout inventer : il doit se lancer à corps perdu dans l’inconnu, rejetant tout préjugé, y compris, à mon sens, l’étude des techniques et l’emploi des matériaux considérés comme traditionnels. » Antoni Tàpies
« Je ne veux pas être considéré comme un artiste. Aujourd’hui on considéré comme artistes ceux qui ne savent rien. L’art est un métier. » Balthus
« L’artiste s’est servi d’un matériau — terre, métal, tissu, pierre précieuse, etc. — mais ce n’est pas cela qui nous frappe ; l’objet est là, dans sa tactilité, dans sa sensorialité, mais ce qui nous émeut, c’est quelque chose qui ne peut pas se dire, dont on peut seulement parler et qui est l’esthétique. C’est la création d’un objet unique, qui n’est pas répétable, mais qui enrichit et insémine, psychologiquement et artistiquement, un être humain de son époque ou d’un autre, et bien après la disparition de tous les vivants contemporains de l’artiste auteur. C’est cela, une œuvre d’art. » Françoise Dolto
« Je ne fais pas de l’art, je suis engagé dans une activité ; si quelqu’un a envie d’appeler ça de l’art, c’est son problème, mais ce n’est pas à moi d’en décider. Tout ça se met en place après. » Richard Serra
« J’ai l’impression que si l’art a un devoir, c’est de rappeler à l’homme qu’il est un être spirituel, qu’il est porté par un esprit infiniment grand auquel, en fin de compte, il retourne. » Andreï Tarkovski
« j’ai peur du mot “création”. Au sens social, ordinaire, du mot, la création, c’est très gentil mais, au fond, je ne crois pas à la fonction créatrice de l’artiste. C’est un homme comme un autre, voilà tout. C’est son occupation de faire certaines choses, mais le businessman fait aussi certaines choses, comprenez-vous? Le mot "art", par contre, m’intéresse beaucoup. S’il vient du sanscrit, comme je l’ai entendu dire, il signifie “faire”. Or tout le monde fait quelque chose et ceux qui font des choses sur une toile, avec un cadre, s’appellent des artistes. Autrefois on les appelait d’un mot que je préfère : des artisans." » Marcel Duchamp
« Pour moi, l’artiste en tant que professionnel est la pire des choses possibles » Dan Graham
« Eh bien, nous vivons tous encore dans une culture qui dit : il y a ceux qui sont artistes et ceux qui ne le sont pas. C’est vraiment inhumain. C’est de la que vient le concept d’aliénation entre les hommes. Non, chaque homme accomplit en permanence des processus matériels. Il crée sans arrêt des rapports. Qu’il donne, qu’il évite un autre homme ou qu’il se déplace dans la fou, il y a toujours, disons des processus de forme. » Joseph Beuys
« L’artiste, en un mot, devient une machine attelée à une autre machine. » Eugène Delacroix
« Les œuvres d’art sont des propositions analytiques. » Joseph Kosuth
« Dès que l’œuvre d’art devient marchandise, on ne peut plus lui appliquer la notion d’art ; aussi devons-nous alors, avec prudence et précaution, mais sans crainte, renoncer à la notion d’œuvre d’art, si nous voulons conserver sa fonction à la chose même que nous entendons désigner. » Bertolt Brecht
« Qu’est-ce que l’art ? Depuis le XIXe siècle, la question est sans cesse posée tant à l’artiste, qu’au directeur de Musée, qu’à l’amateur. En fait, je ne crois pas qu’il soit sérieux de définir l’Art et de considérer la question sérieusement, sinon au travers d’une constante, à savoir la transformation de l’art en marchandise. Ce processus s’accélère de nos jours au point qu’il y a réification l’Art serait la représentation singulière de ce phénomène, une sorte de tautologie. » Marcel Broodthaers
« Depuis quelque temps le problème est un problème d’idées - ceux qu’on admire le plus sont ceux qui ont les idées les meilleures, les plus incisives (Cage et Duchamp, par exemple)… L’art d’aujourd’hui me semble être une forme d’histoire de l’art. » Robert Morris
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Louise Bourgeois, Destruction du père Reconstruction du père, Daniel lelong éditeur, 2000, La maquette de cette édition française a été réalisée par Nadine Goleno à la maquette de Petter Willberg pour l’édition anglaise, P.320.
Tàpies, Antoni, La pratique de l’art, Traduit du catalan par Edmond Raillard, Paris ; Gallimard, 1974, p. 62.
Balthus, Journal du dimanche, 18 mars 2001. Cité par Leduc, Alain (Georges), in Les mot de la peinture, Paris ; Belin, 2002, p.356.
Dolto, Françoise, Tout est langage, Paris ; Gallimard, 1994, [Édition Vetige/Carère 1987], Conférence et débat en 1984, p. 103.
Serra, Richard, cité par Kosuth, Joseph, « L’art après la philosophie » (1969), in Art conceptuel : une entologie, Herrmann, Gauthier & Reymond, Fabrice & Vallos, Fabien (sous la direction), Pairs ; Mix, 2008, p. 433.
Tarkovski, Andreï, cité par Steiner, George & Jahanbegloo, Ramin (recueil établi et préfacé), Entretiens de George Steiner et Ramin Jahanbegloo, Paris ; Éditoin du Félin, p.11.
Dan Graham, dans un entretien avec Benjamin H. D. Buchloh, « Quatre conversations : décembre 1999 - mai 2000 », in Dan Graham, Œuvres 1965-2000, catalogue d’exposition, Paris, Paris-Musées, 2001, p. 75). Cité par Anne Mœglin-Delcroix, Esthétique du livre d’artiste, Le mot et le reste / Bibliothèque nationale de France, 2012, p. 14.
Marcel Duchamp, in Pierre Cabane, Entretiens avec Marcel Duchamp, Éditions pierre belfond, Paris, 1967.
Beuys, Joseph & Harlan, Volker, Qu'est-ce que l'art?, Paris ; L'arche, 1992, p. 43.
Delacroix, Eugène, « Revue des arts », 1850, cité par Riout, Denys, Qu'est-ce que l'art moderne ?, Paris ; Gallimard, 2000, p. 411. (cité d’abord par Rouillé, André, La photographie en France, op. cit., p. 406.
Kosuth, Joseph, « L’art après la philosophie » (1969), in Art conceptuel : une entologie, Herrmann, Gauthier & Reymond, Fabrice & Vallos, Fabien (sous la direction), Pairs ; Mix, 2008.
Brecht, Bertolt, « Der Dreigroschenprozeß » Versuch 8-10, fasc. 3, Berlin, Kiepenheuer, 1931, p. 301 sq, cité par Benjamin, Walter, « L’œuvre d’art à l’époque de sa reproductibilité technique », in Œuvre III, Traduit de l’allemand par Maurice de Gandillac, Raner Rochlitz et Pierre Rusch, Paris ; Gallimard, 2000 (1939), p. 285.
Broodthaers, Marcel, version originale de « To be a straight thinker or not to be. To be blind » [« Être bien-pensant ou ne pas être. Être aveugle »], texte publié en anglais dans Le privilège de l’art, Museum of Modern Art, Oxford, 1975, Voir JdP. 268, cité par Antoine, Jean-Philippe, Marcel Broodthaers, Moule – Muse – Méduse, Dijon ; Les presses du réel, 2006, p. 13.
Morris, Robert, Lettre à Henry Flynt, 13-08-1962, cité par, Buchloh, Benjamin, « De l’esthétique d’administration à la critique institutionnelle », in L’art conceptuel, une perspective, Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris, seconde édition, 1991, p. 25.
Pour les recherches :
« Article R382-1 », République française.
« Les activités artistiques éligibles », La sécurité sociale des artistes auteurs », le 16/05/2022.
« Artiste-auteur : déclaration d'activité », République française, vérifié le 01 janvier 2023.
Ariane Fleury, « Les commissaires d'exposition indépendants en France », Université Paris Dauphine, 2018.